«Les âmes tourbillonnent autour de celui qui agit, les intelligences gravitent autour de celui dont la pensée crée sa forme immédiate, circulaire, dense, autonome, organisée comme un être vivant.
Qui n'a pas cela est condamné à suivre. Qui a cela commande, et bien au-delà de sa mort».Elie Faure (1873-1937)
Tout a été dit en ce qui concerne les dérives de l'arabisation et ses conséquences sur le système éducatif algérien et toutes les implications qui touchent le quotidien d'un simple Algérien. Il
s'agit ici d'une réponse ou des réponses à quelques dérives par certains intellectuels arabophiles, dont Monsieur Othman Saâdi, président de l'Association algérienne pour la défense de la langue
arabe, qui a accordé une interview à un quotidien londonien, Echark El-awsat(1), où il a accusé « le lobby francophone », selon ses propos, de geler la loi de la généralisation de la langue
arabe. Il ne s'est pas arrêté seulement là, il a aussi accusé le défunt Président algérien Mohamed Boudiaf « d'ennemi de la langue arabe » et d'avoir mis « ses enfants dans une école française au
Maroc ». Pour lui, depuis l'accession au pouvoir de l'actuel Président en 1999, la langue arabe « vit ses moments les plus difficiles ». En ce cas, comment explique-t-il ce nouveau décret
d'application de la loi n°08-09 du 25/02/08 du Code de procédures civile et administrative qui impose aux Algériens de ne s'exprimer qu'en arabe ? Pis, quand O. Saâdi associe les « non
applications » de ces décrets pour la généralisation de la langue arabe, par une trahison aux sacrifices du peuple algérien « qui a défendu sa langue arabe et sa religion, l'Islam ». Comme si,
être francophone c'est nier et ignorer les deux dimensions indiquées plus haut. Pourtant, des hommes comme Boudiaf (l'un des fondateurs d'OS) ont déclenché la guerre de Libération nationale et
ont même signé la déclaration du Premier Novembre en français. Contrairement à ceux qui prétendaient défendre la langue arabe et la religion musulmane, ils n'ont rejoint la Guerre de Libération
nationale qu'en 1956(2), après deux ans de guerre lancée par des hommes comme Boudiaf.
Où sont ces prétendus défendeurs des « constantes nationales » ? Si le peuple a massivement participé à la guerre, c'est pour la simple et unique raison de mettre fin au système colonial et à ses
injustices qu'il subissait au quotidien. Ainsi, il pouvait vivre dignement dans son pays en tant que citoyen à part entière. D'ailleurs, c'est pour cela que le combat du peuple algérien demeure
un exemple pour les autres peuples colonisés. Utiliser les valeurs patriotiques pour défendre la langue arabe me semble une déviation et un glissement dangereux qui creusent davantage le fossé
qui sépare les deux courants, en l'occurrence arabophone et francophone. Ainsi, chaque camp renforce la conviction qu'il y a une divergence profonde sur la question linguistique et son apport à
l'identité nationale et voire même à l'unité nationale.
Il me semble que Monsieur O. Saâdi vit dans une autre Algérie, ou plus au moins celle que nous ne vivons pas, car un simple observateur se rendra compte que toutes les disciplines sont enseignées
en langue arabe et le système éducatif algérien est parfaitement arabisé. Il reste à s'interroger sur l'échec de cette arabisation, mais aussi sur les raisons d'improductivité des disciplines
arabisées. De plus, pourquoi les parents, quand ils le peuvent, évitent le système éducatif algérien ? Quelles sont les raisons qui poussent les étudiants à éviter les disciplines techniques ?
Pourquoi n'y a-t-il pas d'ouvrages scientifiques traduits ou pas en langue arabe ? Pourquoi n'y a-t-il pas d'unanimité sur l'utilisation des terminologies techniques en langue arabe ? Pourquoi,
depuis l'arabisation de l'Université algérienne, en particulier en sciences humaines, n'y a-t-il pas eu de publication d'articles scientifiques et d'études produits par ces chercheurs arabisés ?
Pourquoi leurs homologues maitrisant les autres langues, en l'occurrence le français, produisent-ils des études et des articles de qualité, répondant aux normes scientifiques ?
Cependant, de mon point de vue, la généralisation de la langue arabe ne dépend pas seulement de l'Algérie, mais de l'ensemble des pays arabes. Car cette langue est en retard, il manque beaucoup
d'outils à son évolution, particulièrement le changement du regard et du mécanisme de pensée des Arabes par rapport à leur propre langue. Comment voulez-vous enseigner une langue qui ne produit
guère dans tous les plans scientifiques ? Comment voulez-vous enseigner une langue qui n'incite pas à la lecture ? Comment voulez-vous rattraper le retard si la traduction ne concerne pas
quelques livres par an ?
Pourquoi la langue française ?
L'utilisation da langue française s'impose aux Algériens car d'une part, nous avons des liens historiques profonds avec la langue française, même si ceux-ci apparaissent contradictoires, le
français est l'un des moyens pour accéder à l'universel pour nous, Algériens. D'autre part, il y a deux, si ce n'est pas trois générations, qui ont suivi une formation en langue française. Cette
richesse est parfois exploitée par d'autres pays arabes ou autres pour l'encadrement de leur élite et pour développer leur pays même ils subissent la marginalisation dans leur propre pays. Enfin,
les Algériens vivant en France constituent une communauté importante qui dépasse les sept millions et s'étend sur plusieurs générations, fortement implantées en France. Il est alors inhumain de
rompre le lien avec nos frères et nos cousins et d'autres proches qui vivent dans ce pays. Tout en sachant le rôle que notre communauté a joué et qu'elle joue encore dans l'évolution de notre
pays.
Dans le même ordre d'idée, la langue française est la deuxième langue utilisée dans le milieu scientifique, après l'anglais. De plus, beaucoup de sujets et d'études qui concernent l'Algérie, que
ce soit sur le plan politique, social, histoire, etc., sont en grande partie rédigés en langue française. Sans oublier la qualité de l'enseignement du système français qui forment l'élite
algérienne parfois exploitée par d'autres pays, comme je l'ai souligné plus haut. Pour preuve, l'Université française est souvent sollicitée par des pays arabes tels que Dubaï qui vient d'ouvrir
une annexe de l'université de la Sorbonne.
La littérature francophone algérienne
Quelques écrivains algériens accusent à tort et à raison leurs collègues écrivains qui écrivent et/ou publient en France dans le but d'obtenir une reconnaissance et en vivre.«Ces Algériens, selon
Abdellali Merdaci(3), dont les parents ont hier chassé la France de l'Algérie, avec les armes et le bulletin de vote, en sont aujourd'hui à user de leur talent pour retourner dans la francité. Et
à en faire leur unique horizon».
Selon Mohamed Arbi Ould Khalifa(4) : «il ne faut pas juger à la hâte la qualité intellectuelle et de création littéraire des écrivains francophones algériens qui publient dans les éditions
françaises et qui souvent vivent en France comme Mohamed Arkoun, Yasmina Khadra, Assia Djabar et d'autres, car il se peut que les raisons qui les poussent à publier dans ce pays et dans cette
langue (le français) sont la recherche de la célébrité, de prix littéraires...». Cette vision est partagée par Habib Sayah(5). Il me semble que la politique de l'arabisation n'a pas convaincu
tous les acteurs littéraires algériens. Ainsi, associer la langue française au colonialisme français me semble dérisoire car il faut rappeler que la majorité de l'élite algérienne qui a lutté
contre le colonialisme était imprégnée de la culture française et des valeurs humanistes de la pensée française. Et ceci n'est pas spécifique aux Algériens, mais l'influence de la culture
française a touché l'ensemble des élites mondiales. Les idées d'auteurs comme Rousseau, V. Hugo, Sartre et d'autres dépassent les frontières identitaires. De plus, on peut parler de l'influence
de la culture arabe par la culture française, en particulier des auteurs égyptiens, libanais, syriens et irakiens qui ont fait la « Nahdha » au début du XXè siècle. Ignorer tout cela relève de la
politique de l'autruche, forme d'hypocrisie intellectuelle. Si ces auteurs souhaitent publier en France, c'est tout simplement parce que dans ce pays, la gestion de l'édition (tirage, diffusion,
commercialisation, etc.) est professionnalisée et génère des lecteurs. Un roman de Yasmina Khadra s'est vendu à plus de 200 000 exemplaires, uniquement en France, sans parler des autres pays du
monde. Cependant, en Algérie par exemple, le même roman ne pourrait pas dépasser les 1 000 exemplaires. Dans le monde arabe, un ouvrage est tiré au maximum à 3.000 exemplaires, ce qui signifie un
livre pour 110 779 citoyens arabes(6). Le cas d'Ahlame Mastghanemi est édifiant : son roman « La mémoire du corps » a été édité en Algérie et n'a pas eu de commercialisation et de diffusion
suffisante. Cependant, une fois publié au Liban, il est devenu un phénomène littéraire. Donc, la faute n'est pas aux personnes qui publient ailleurs (d'ailleurs, au cours de ces dernières années,
beaucoup d'arabophones publient au Liban, à Dubaï), mais à la politique du livre en général dans notre pays.
L'édition, c'est une culture que malheureusement nous ne maîtrisons pas encore. Cependant, on peut aussi parler des raisons qui poussent les autres à écrire en français et pas en arabe. Ceci est
une autre histoire.